Patel brown | The Belgo Building - 372 rue Ste-Catherine O, #412


IDENTITÉS POREUSES / Porous Identities

September 17 - October 29


Muriel Ahmarani Jaouich, Alia Ali, Shary Boyle, Vanessa Brown, Camille Jodoin-Eng, Native Art Department International, Oluseye, Marigold Santos, Shaheer Zazai 

« Toute identité est poreuse et mouvante, tant qu’elle est vivante. » (1)

En vue de l’ouverture de la galerie Patel Brown à Tiohtiá:ke/Mooniyang/Montréal, il nous semblait pertinent de réfléchir sur la manière dont la culture se communique, se fragmente, se réinvente et évolue. À une échelle locale, nous percevons déjà le potentiel extraordinaire d’apprentissages et d’échanges entre les cultures respectives des deux villes où la galerie possède désormais un pied à terre. En examinant attentivement les pratiques des artistes de la galerie, dont ceux présentés ici, nous constatons que les questions de l’interconnexion et de la porosité des identités sont au cœur de nombreuses réflexions.  

Notamment, Marigold Santos considère sa propre identité comme étant toujours en mouvement, poreuse et hybride. À travers une perspective décoloniale et féministe, elle revisite l’aswang (2), une métaphore de sa propre expérience de déplacement, de fragmentation et de transformation. Dans shroud (caring for fruit) 1, les chevelures deviennent à la fois des mécanismes de dissimulation, protégeant l’espace personnel et permettent à la figure représentée de prendre l’identité qu’elle désire, mais aussi au public de se projeter dans l’anonymat des figures voilées. Nouvellement mère, Santos les/se représente prenant soin de fruits épineux, emblèmes de son nouveau-né comme de sa culture. Que ce soit le durian ou le jacquier, leur odeur éveille en elle une mémoire sensorielle d’appartenance culturelle, rejaillissant des souvenirs évanescents des Philippines liés à son expérience diasporique en bas âge. 

Ce processus de mutation et de réappropriation d’une transformation identitaire est également observé dans l’œuvre Anahit de Muriel Ahmarani Jaouich, qui superpose la déesse de fertilité arménienne à une iconographie d’inspiration égyptienne. Aux suites d’entrevues avec sa famille et de la recherche d’archives, Ahmarani Jaouich explore, afin de mieux les comprendre, ses héritages arméniens, libanais et égyptiens. L’artiste s’approprie des codes traditionnels et les amalgame au sein d’un langage symbolique propre et évolutif. Comme dans l’œuvre de Santos, le personnage féminin principal représente à la fois une allégorie personnelle et universelle, soit l’autoreprésentation et l’incarnation d’une personne qui se veut tantôt soutenue par sa communauté tantôt protectrice de celle-ci. La codification personnelle et universelle est aussi centrale dans la pratique de Camille Jodoin-Eng à la lumière de l’alphabet qu’elle s’est créé par l’intermédiaire d’une distillation de la symbolique du quotidien. En constante évolution, cet alphabet vise à interpréter l’intuitif, l’émotionnel et l’indéfini, tel le calme ressenti à la vue d’une feuille virevoltant. Dans le cadre de l’exposition, elle présente de nouvelles œuvres : un dragon nuageux et un phœnix aux lignes sinueuses, porte-étendards du monde intérieur et extérieur, du yin et du yang, ainsi que de leur entrelacement en chacun d’entre nous. 

La pratique de Native Art Department International se concentre sur l'idée de perméabilité entre les artistes vers un langage visuel partagé évolutif. En abordant chaque nouvelle série comme un projet de collaboration, les deux artistes de NADI, Maria Hupfield et Jason Lujan, s'éloignent d'une pratique basée sur l'individualité et encouragent plutôt la coopération et la non-compétition. Avec le quadriptyque Mino-giizhgad (un mot anishinaabe), ils poursuivent leurs explorations actuelles de la peinture, du lieu à travers la culture anishinaabe et les codes esthétiques de la Woodlands School. En travaillant à partir de références à l'histoire de l'art, ils ont développé un langage esthétique qui parle de tradition et de réinvention dans la peinture d'aujourd'hui.

D’autres artistes étudient cette porosité à l’aide de la réappropriation du traditionnel comme méthode d’expression d’identités évolutives. C’est le cas de Shaheer Zazai qui adopte une approche méditative et intuitive dans la création de ses tapis numériques sur Microsoft Word, afin de réconcilier son héritage culturel afghan avec le monde occidental dans lequel il vit actuellement. Réelles œuvres diasporiques, ses motifs improvisés d’inspiration afghane servent ensuite de modèles pour des artisans de Kaboul qui les confectionnent de manière traditionnelle à la demande de Zazai. Le cycle est ainsi perpétué, mais modulé et changeant, à l’image de l’identité de l’artiste. Ce clin d’œil aux motifs traditionnels se retrouve également dans la pratique d’Alia Ali, artiste d’héritage bosniaque, yéménite et citoyenne des États-Unis. Dans cette œuvre issue de la série FLOW, Ali s’intéresse à la provenance du tissu, mieux connu sous le nom d’ikat en Indonésie, mais tirant ses origines des quatre coins du monde sous d’autres appellations, dont au Yémen. Elle est aussi curieuse des communautés qui créent l’ikat et son vocabulaire visuel complexe, ainsi que de ceux qui le consomment. Reflétant le mouvement et la connexion entre les continents, les sculptures photographiques d'Ali évoquent l'impact de la profonde beauté et la nature contemporaine de ce savoir ancestral tout en présentant des couches complexes de récits controversés qui s'appuient sur des sujets tels que l'effacement, la colonisation et le futurisme. De son côté, l’artiste nigérien canadien Oluseye se réapproprie l’Irukere, objet traditionnel yoruba réservé majoritairement aux rois et aux prêtres. Faisant originalement office de chasse-mouche et de sceptre royal, cet objet est subverti par l’artiste qui remplace poils d’animaux et manche perlé par des extensions de cheveux de femmes et des matériaux trouvés des deux côtés de l’Atlantique, durables et résistants, comme le caoutchouc. L’objet patriarcal devient féministe, diasporique et personnel : un hommage aux femmes fortes qui ont eu un impact important sur lui. 

La question de l’interconnexion et du mouvement entre les êtres est aussi explorée par la sculpture de Shary Boyle. Faisant partie d’une série de céramiques en grès gris réalisée en Italie, Piacere (My Pleasure) aborde le corps à titre de contenant, porteur de matériel, de sens et de rituel. Récipient du physique et du psychique, ce vaisseau anthropomorphique doté d’un seul bras nous rappelle que malgré les imperfections de chacun, ensemble réunis, les individus se complètent, tout comme la terre et l’eau qui composent l’œuvre. L’idée du contenant et des ramifications possibles en son intérieur est aussi évoquée dans Sheltering Bottles de Vanessa Brown. Se superposant au sens initialement imaginé par l’artiste, l’œuvre devient un vase communicant entre les galeries de Montréal et de Toronto puisqu’elle figurait dans l’exposition d’inauguration de cette dernière. À son insu, cette œuvre-vaisseau devient donc une métaphore de notre connexion et de l’interinfluence/dépendance de nos milieux, les uns envers les autres. Elles démontrent bien les multiples strates qui s’accumulent au sein de chacun de nous, créées par nos échanges avec les autres, faisant de nous des êtres complexes, riches et unis.

— Roxanne Arsenault

1 Tiré de Comment les rabbins font les enfants par Delphine Horvilleur, Éditions Grasset, 2015.
2 L’aswang est une créature métamorphe et maléfique du folklore philippin dont les premières observations sont notées par les colons espagnols au XVIe siècle.


“All identity is porous and shifting, as long as it is alive.” (3)

In anticipation of Patel Brown opening a new location in Tiohtiá:ke / Mooniyang / Montreal, it seems relevant to reflect on how culture communicates, fragments, reinvents, and evolves. On a local scale, it's apparent that there is extraordinary potential for learning and exchange between the respective cultures of the two cities, where the gallery now has a foothold in Toronto, and now in Montreal. Looking closely at the practices of the gallery's artists, including the exhibiting artists of this inaugural show, we see this question of interconnection is at the heart of many of their reflections and artistic considerations.  

This is the case for Marigold Santos, who investigates her identity as always in flux, porous, and hybrid. Through a decolonial and feminist perspective, she revisits the aswang (4) as a metaphor for her own experience of displacement, fragmentation, and transformation. In shroud (caring for fruit) 1, the hair becomes both a mechanism of concealment, protecting her personal space and allowing the figure depicted to take on the identity she desires, but also allowing the audience to project themselves into the anonymity of the veiled figures. A new mother, Santos depicts herself/them caring for thorny fruits, emblems for her newborn as well as her culture. Whether durian or jackfruit, their smell activates a sensory memory of cultural belonging in her, who has evanescent memories of the Philippines due to her diasporic experience at a young age.

This mutation and reappropriation of an identity transformation is also addressed in Muriel Ahmarani Jaouich's work Anahit, which superimposes the Armenian fertility goddess with Egyptian-inspired iconography. Following interviews with her family and archival research, Ahmarani Jaouich explores her Armenian, Lebanese, and Egyptian heritages in order to better understand them. The artist appropriates traditional codes and amalgamates them into a symbolic language of her own. As in Santos' work, the main female character is simultaneously a personal and universal allegory: self-representation, embodiment of a person supported by her community, as well as protector of it. Personal and universal codification is also central to the practice of Camille Jodoin-Eng who has created her own alphabet through a distillation of everyday symbolism. Constantly evolving, this alphabet aims to interpret the intuitive, the emotional, and the indefinite: like the calm that comes from watching a leaf fluttering in the wind. For the exhibition, she presents new works: a cloudy dragon and a phoenix with winding lines, standard-bearers of the inner and outer world, of yin and yang, as well as their intertwined presence within each of us. 

Native Art Department International's practice focuses on the idea of permeability between artists towards an evolving shared visual language. Approaching each new series as a collaborative project NADI's two artists, Maria Hupfield & Jason Lujan, move away from a practice based on individuality, and instead promote cooperation and non-competition. With the quadriptych Mino-giizhgad (an anishinaabe word), they continue their current explorations into painting, place, through anishinaabe culture via the Woodlands School aesthetic codes. Working from art history references, they have developed an aesthetic language that speaks to tradition, and reinvention in painting today.

Other artists address this malleability through a reappropriation of the traditional as a method of expressing evolving identities. For Shaheer Zazai, the meditative and intuitive approach to his digital tapestries on Microsoft Word reconciles his Afghan cultural heritage with the Western world in which he lives today. Truly diasporic works, his improvised Afghan-inspired patterns become models for Kabul craftsmen who make the works in the traditional way at Zazai's request. The cycle is thus perpetuated, but modulated and changing, like the artist's identity. This nod to ancient motifs is also central to the practice of Alia Ali, an artist of Yemeni and Bosnian heritage and US citizenship. In this work from the FLOW series, Ali is interested in the provenance of the fabric, better known as Ikat in Indonesia, whose origins have roots across the globe under other names (including Yemen), as well as in the communities who create it and consume it. Reflecting the movement and connection between continents, Ali's photographic sculptures evoke the impact of the mesmerizing beauty and contemporary nature of this ancient knowledge while also presenting complex layers of controversial narratives that draw on topics such as erasure, colonization and futurism. For his part, Nigerian Canadian artist Oluseye reappropriates the Irukere, a traditional Yoruba object reserved mainly for kings and priests. Originally a combination between fly swatter and royal sceptre, it is subverted by the artist, replacing animal hair and beaded handles with female hair extensions and durable materials like rubber that he found on both sides of the Atlantic Ocean. The patriarchal object becomes feminist, diasporic and personal : an homage to the women in his life that have had a powerful impact on him. 

The question of interconnectedness and movement between beings is also addressed by Shary Boyle's sculpture. Part of a series of grey stoneware ceramics made in Italy, Piacere (My Pleasure) addresses the body as a container, a bearer of material, meaning, and ritual. A vessel for the physical and psychic, this anthropomorphic one-armed vessel reminds us that we are all perhaps imperfect but complete through our union with each other, just like the earth and water that make up the work. The idea of the container and the possible ramifications within them is also evoked in Sheltering Bottles by Vanessa Brown. Superimposed on the meaning initially imagined by the artist, the work becomes a communicating vessel between the Montreal and Toronto galleries, as it was also included in the opening exhibition of the latter. Unintentionally, this vessel becomes a metaphor for our connection and the inter-influence/dependence of our environments on each other. They demonstrate the multiple layers that accumulate within each of us, created by our exchanges with others, making us complex, rich and united beings. 

— Roxanne Arsenault

3 Translated by the author. Quote taken from “Comment les rabbins font les enfants” by Delphine Horvilleur, Éditions Grasset, 2015.
4 Aswang is an umbrella term for various shape-shifting evil creatures in Filipino folklore, that were first noted by the Spanish explorers, in the 16th century.